
En 1999, Shade sortait ISA, un album culte de la scène black metal québécoise, via le défunt label Frowz Productions. Peu de temps après, le groupe se séparait, laissant derrière lui un disque rare et une aura mystérieuse.
Près de vingt-cinq ans plus tard, Shade revient avec Temple for the End of Days, un album entièrement composé de morceaux écrits et joués à l’époque, mais restés inédits jusqu’à maintenant. Sorti en version digitale sur Bandcamp, ce nouvel opus marque une résurrection pour Holokausto et ses compagnons d’armes.
Nous avons échangé avec Holokausto (guitares), pour revenir sur l’histoire de Shade, leur place dans la scène black metal québécoise de la fin des années 90, et leur regard sur ce retour inattendu.
Shade – Temple for the End of Days, le retour d’un pionnier du métal noir québécois (entretien avec Holokausto)
Introduction
Salut Holokausto, merci d’avoir accepté l’entrevue. Shade a marqué les débuts du métal noir québécois à la fin des années 90, et avec le retour du groupe en 2025, c’est vraiment spécial de pouvoir revenir là-dessus avec toi. D’abord, comment vas-tu ? Et ça te fait quoi de replonger dans cette époque et de voir Shade revenir à l’avant-plan après toutes ces années ?
Nous sommes heureux d’avoir enfin sorti l’album que nous aurions dû publier il y a longtemps. C’était un chapitre que nous avions besoin de clore et maintenant que c’est fait, nous en sommes tous satisfaits. J’ai été surpris de me rappeler des morceaux aussi facilement, sans doute parce que nous les avions beaucoup joués en concert à l’époque. Mais rejouer les chansons et voir le projet refaire surface, c’est vraiment se replonger dans le passé.
Aux origines de Shade
Peux-tu nous ramener à la fin des années 90 ? Comment Shade est né et comment vous vous êtes placés dans la scène black metal québécoise entre 1998 et 2000 ?
À l’école et dans mon quartier, on était tous plongés dans la musique extrême : death métal, grind, death mélodique…De mon côté j’ai accroché rapidement au black métal parce que c’était plus glauque et réel. C’était difficile d’avoir les albums, ils venaient de loin, ils étaient rares ils sonnaient souvent mal et en plus ils étaient cher. Donc posséder une collection de disques black métal à ce moment là, c’était impressionnant. Mais c’est ce qui créait le vibe des premiers groupe black métal.
Dans le groupe dans lequel je jouais à l’époque, chacun avait ses influences et au début on se retrouvait à mélanger un peu de tout. Mais ça manquait de direction selon moi et ce n’était pas super intéressant. Alors je me suis dit autant créer le groupe que j’aimerais voir exister avec une orientation claire vers le black métal style organique. Ceux qui voulaient suivre on embarqué. Érik et Mordenhave se sont joint à moi et on a commencé à jammer.
Un peu plus tard celui qui allait devenir le chanteur est tombé sur une démo par hasard. Il nous a contactés pour nous dire qu’il avait aimé ce qu’il entendait et qu’il voulait chanter avec nous. Il était plus âgé que nous et avait des contacts alors ça a aidé à faire décoller les choses.
ISA est sorti en 1999 sur Frowz Productions, en édition limitée. Comment ça s’est passé cette collaboration avec ce label ? Est-ce que vous aviez beaucoup de contacts dans la scène ou c’était plus du bouche-à-oreille ?
Ça commence à dater, donc mes souvenirs sont en peu flous. Je me rappelle que c’était surtout le chanteur qui s’occupait de la promo et des contacts, tandis que de mon côté je me concentrais davantage sur l’écriture. Ce qui est certain, c’est qu’être signé sur un label, même un truc local, ça ouvre des portes. Ça aide à multiplier les contacts, ça nous fait rencontrer des gens et ça nous permet d’exister dans la sphère musicale.
Avez-vous eu la chance de faire des concerts dans ces années-là ? Si oui, comment ça se passait à l’époque et avez-vous quelques anecdotes mémorables ?
On faisait des concerts assez régulièrement. Avec le recul, c’est presque étrange parce que notre style de black metal pas forcément le style le plus fait pour la scène, c’est misanthropique et personnel. Mais on montait quand même sur scène avec d’autres groupes locaux, des groupes de death métal mais aussi des groupes de black metal mélodique. Les groupes black métal avaient presque tous des claviers dans ce temps-là. Ils ne pouvaient pas s’en empêcher. Nous n’étions pas fan des claviers dans le temps….et encore aujourd’hui dans le fond. Pas sûr qu’on peut dire qu’il y a eu des moments mémorables, ça tournait surtout entre Québec, Montréal et les villes autour. À Québec ça fonctionnait bien. On avait fait un concert aller-retour Québec, Montréal et des gens de Québec étaient venus. Ça mettait de l’ambiance. Ça fait du bien quand tu joues un cover de Darkthrone live et que les gens dans la salle reconnaissent la chanson parce qu’ils connaissent Darkthrone. Sinon je me souviens d’un concert à l’extérieur le jour sur une grosse scène Budweiser à Shawinigan ou Victoriaville. Ça n’avait aucun sens avec nos clous et le maquillage. Je n’ai aucune idée ce qu’on faisait là haha. On s’amusait à faire fuir les gens.. On s’en foutait on voulait juste faire le show.
Vous vous êtes séparés peu après. Quelles ont été les principales raisons derrière cette décision ?
Disons que le chanteur était utile pour la promo et les contacts, mais il avait un côté qui nous posait problème. Il était à fond dans des délires haineux et extrémistes, ça transparaissait dans ses paroles et ça ne collait pas du tout avec ce qu’on était. On ne voulait pas être associé de près ou de loin à ce genre d’idéologie, donc on l’a laissé partir. Comme c’était un peu lui le moteur du groupe on a décroché. De mon côté je me suis mis à explorer d’autres formes de Black Metal puis j’ai fait autre chose.
Même après, ça a continué à poser problème : il a sorti un split avec un groupe haineux sans nous consulter. On a longtemps hésité à se reformer à cause de ça, on se disait que le nom avait été sali. Mais il faut savoir que le reste du groupe n’a rien à voir avec toutes ces conneries.
Le retour et le nouvel album
Réunion et motivation
Vous vous êtes reformés pour enregistrer l’album que vous aviez prévu de sortir il y a longtemps. Qu’est-ce qui a ravivé cette flamme après toutes ces années ?
Bonne question. J’y pensais souvent, je me disais : je ne peux pas laisser ça comme ça, j’ai les chansons en tête il faut que je bouge. Cette année comme j’avais pris une pause de mes autres projets je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. J’ai toujours gardé contact avec Erik, même si on se voyait rarement et de son côté il était encore en lien avec Mordenhave. J’ai fini par enregistrer une maquette d’un morceau, je ne me rappelle plus lequel et Erik l’a fait écouter à Mordenhave qui a répondu : Go! On le fait!
L’album est sorti en juillet dernier, uniquement en digital sur Bandcamp. Comment s’est passée la création et l’enregistrement de ce disque ? Est-ce que les morceaux sont restés fidèles aux versions que vous jouiez à l’époque en concert ?
Côté création des riffs tout est intégral de 1999. Je n’ai pas changé une note. Même les passages que je modifierais aujourd’hui, je les ai laissés tels quels. Je voulais que ça reste une voix du passé qui se réveille.
Côté production, par contre, on a chacun évolué différemment. Personnellement j’aurais préféré un rendu plus raw black metal, mais les autres penchaient pour quelque chose d’un peu plus clair. On a donc tranché en ce sens. Les riffs ressortent mieux, mais on perd de la rugosité, c’était un choix. Alors j’ai dû ranger ma Metal Zone.
Sur ISA, on retrouvait Eric à la batterie, Mordenhave à la basse et toi à la guitare. Est-ce que c’est le même line-up pour Temple for the End of Days ou il y a eu des changements
Je tenais à refaire l’album avec les membres originaux pour recréer l’esprit de l’époque. Pour le Drummer Erik n’avait pas rejoué depuis des années alors nous avons pris ce qu’il pouvait nous donner sur son kit, puis on a tout intégré au son et on a tout mis sur la grille pour aligner tout ça. Il a été présent tout le long du processus studio. Mordenhave a pris la place du chanteur vu qu’il a déjà de l’expérience dans ce rôle. Comme on voulait un album clean et bien en place, j’ai enregistré la basse et les guitares moi-même pour que ça aille plus vite.
Vous avez choisi l’auto-production, sans label. Est-ce que vous aimeriez éventuellement travailler de nouveau avec un label, sortir l’album en format CD ou vinyle, ou même offrir du merch ?
Nous allons potentiellement sortir l’album en cassette. D’ailleurs le remaster d’ISA sort en cassette sur Clerical Music aux USA d’ici une semaine. Ça devrait être disponible sur bandcamp bientôt. Clericalmusic.bigcartel.com
Nous n’avons pas de plan précis côté promotion, nous voulions que l’album existe c’est fait.
Est-ce qu’il y a des concerts de prévus pour défendre ce nouvel album ? Et si oui, comment ça pourrait se passer aujourd’hui, avec votre line-up actuel ?
C’est sûr que l’idée de faire de concerts m’intéresse toujours, mais avec le line-up actuel, ce serait compliqué. On a voulu quelque chose de précis sur album, donc ça doit sonner aussi droit en live.
S’il y a des musiciens motivés pour rejoindre le projet, voire même reprendre le flambeau, je ne fermerais pas la porte. Mais honnêtement, il y a peu de chance que ça se concrétise.
Perspectives et réflexions
Tu as aussi travaillé sur Thren, avec deux albums (2009 et 2016). Est-ce que ça a influencé ta manière d’approcher ce retour avec Shade ?
Comme les morceaux de Shade existaient déjà, c’était plus un retour aux sources qu’une vraie nouvelle direction. Le style de Thren est très différent : plus obscur, plus occulte avec une ambiance satanique. Shade, de son côté s’inscrit davantage dans la branche norvégienne old school black metal, avec des accords larges, forestiers presque épiques. Les deux projets restent du black metal, mais ils appartiennent clairement à deux écoles différentes.
Quels étaient les albums de black métal marquants au moment où vous écriviez les morceaux de Isa ?
L’époque Shade s’est concentrée sur une période assez courte alors je me souviens parfaitement des albums qui tournaient chez moi à ce moment-là :
Satyricon : Nemesis Divina
Ulver : Nattens Madrigal
Gorgoroth : Under the Sign of Hell
Darkthrone : pas mal tout mais à ce moment-là c’est Total Death qui venait de sortir.
Arkanum : Kampen
Borknagar – Borknagar
Quelle est ta vision de la scène black métal actuelle, au Québec comme à l’international ?
Je trouve que la scène est en pleine forme. Les média sociaux facilitent les échanges et l’autopromotion, ce qui permet aux groupes de se faire remarquer plus facilement, même à l’international. Le black metal a toujours été un genre très visuel et conceptuel. Aujourd’hui il y a juste plus de moyens pour pousser cet univers encore plus loin, que ce soit dans l’imagerie, les visuels d’albums ou les mises en scène. C’est sûr que ça crée une saturation, mais si on voit ça comme un mode d’expression plutôt qu’une carrière c’est tout à fait sain.
Si tu devais présenter Shade à quelqu’un qui n’a jamais entendu le groupe, comment tu décrirais votre musique et votre univers ?
Shade c’est l’archétype du Black metal old school des années 90 avec tous les clichés du genre mais on a gardé l’essence de l’époque avec une production actuelle version 2025.
Merci Holokausto pour ton temps. Est-ce que tu veux ajouter quelque chose pour les gens qui vous redécouvrent aujourd’hui ou pour les plus vieux qui vous suivaient déjà en 1999 ?
L’album est là pour ceux qui veulent entendre ce qu’on avait à dire et qu’on n’avait jamais pu enregistrer.
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